«L’ascenseur fait partie du chemin»

Pour que l’ascenseur puisse jouer un rôle central, les architectes Aebi & Vincent font appel très tôt aux spécialiste de chez EMCH. Bernhard Aebi et Daniel Steiger nous racontent leur expérience en matière d’ascenseurs.

 

 

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Bernhard Aebi et Daniel Steiger nous racontent leur expérience en matière d’ascenseurs.

 

Comment vous déplacez-vous dans un bâtiment ? Par l’escalier ou en prenant l’ascenseur ?

Bernhard Aebi : Dans 99 % des cas je prends l’escalier. Car par deux fois je suis resté coincé dans un ascenseur. La première fois à Fribourg dans la banque conçue par Botta. Nous sommes restés bloqués environ une demi-heure, c’était très désagréable. La deuxième fois c’était à Saas Fee, à trois heures du matin …

 

Le cheminement est un thème essentiel en architecture. Quel rôle joue l’ascenseur ?
Bernhard Aebi : Tout comme l’escalier, l’ascenseur fait partie de l’itinéraire. L’expérience d’une course en ascenseur est importante : comment entre-t-on dans l’ascenseur, que touche-t-on, que se passe-t-il durant la course ? Dans un ascenseur vitré par exemple il y a la vue. Dans un ascenseur fermé on se demande ce qui se passe dans la cabine. Cela peut apporter quelques frustrations qui nous accompagnent et génèrent des émotions tant que l’on se trouve dans la cabine. Cela peut être du fait de la forme de la main courante ou d’un miroir placé à un endroit inattendu.

 

A quel moment décide-t-on du rôle de l’ascenseur pour un projet ?
Bernhard Aebi : Il est primordial que l’ascenseur soit placé au bon endroit. L’endroit donne ensuite les possibilités de ce que l’on peut y faire. Si tu veux absolument créer quelque chose de particulier et que tu dois chercher l’endroit dans le bâtiment pour le faire, c’est que l’ascenseur a été placé au mauvais endroit. Dans l’aile sud de la gare principale de Zurich, que nous rénovons en ce moment, les ascenseurs ont été placés sur le niveau de desserte. Leur fonction : servir. La porte palière et le fronton, tous deux en bois, apportent leur lots d’émotions. A l’origine nous avions prévu de faire la cabine entière en bois – le trajet dans cette cabine boisée aurait été surprenant, comme dans le film «Grand Hotel Budapest».

 

 

 

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A quel étape de la conception prenez-vous contact avec le spécialiste ?

Bernhard Aebi: En principe on prend contact assez tôt, généralement au stade d’avant-projet. Il est important que la partie technique soit clarifiée dès le début : grandeur de gaine ? quel est l’entraînement ? Il y a beaucoup de possibilités. Mais l’on rencontre souvent des situations plus difficiles à régler. Pour la transformation de l’Administration fédérale des douanes à Berne les emplacements des ascenseurs sont donnés pour des raisons historiques. Il faut donc bien regarder comment installer un ascenseur et quelle influence il a sur le reste.

 

Daniel Steiger, comment les architectes sont-ils préparés ?
Daniel Steiger: C’est très variable et dépend de l’expérience de l’architecte, en particulier pour les projets sur constructions existantes. Cela fait une grosse différence si c’est une construction neuve ou une transformation. Pour une construction neuve, l’ascenseur fait partie des installations techniques du bâtiment. On prend le catalogue standard et on place l’ascenseur quelque part. Pour les projet dans les constructions existantes, on est vite limitée par le site. C’est là que je remarque assez rapidement si l’architecte se pose la question de la faisabilité pour la première fois ou s’il a de l’expérience. Si le concept prime sur la technique, si l’architecte dit : « pour des raisons de conception c’est ici qu’il faut poser l’ascenseur », c’est le début d’une histoire passionnante. Je ne connais pas de projet des architectes Aebi & Vincent qui n’ait pas débuté comme cela. Par exemple pour le théâtre de Langenthal, lorsque nous avons planifié l’ascenseur pour Aebi & Vincent, nous avons remarqué dès le début que les exigences des architectes étaient très élevées. Beaucoup n’oseraient pas avoir de tels souhaits, s’ils n’ont pas l’expérience d’une telle collaboration.

 

Les thèmes de départ sont-ils plutôt techniques ou créatifs ?
Bernhard Aebi: Un thème important est naturellement la faisabilité de l’idée créatrice. A Langenthal nous voulions construire une cabine et une gaine en métal déployé – sans vitrage. Nous pensions qu’il serait agréable de sentir le courant d’air durant le trajet. Nous nous sommes intensivement penchés sur la question et avions même trouvé une solution – et c’est là que la norme a changé et nous devions renoncer au métal déployé et passer au verre et ainsi rechercher un autre effet. Nous l’avons remplacé par un effet de buée sur la vitre, grâce à un film intégré dans le verre.

 

 

 

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Je peux m’imaginer que les normes limitent fortement la créativité pour une installation technique comme celle-ci.
Bernhard Aebi: Bien sûr qu’il y a des normes qui doivent être respectées ; dans le bâtiment, tout est normé. Mais si tout est construit selon les normes, chaque maison se ressemblera. Il est beaucoup plus passionnant de répondre à la norme tout en en faisant quelque chose. Si tu as des partenaires qui y trouvent aussi leur plaisir, il y a beaucoup de possibilités de funambulisme.

 

Etes-vous des funambules ?
Daniel Steiger: Apparemment. (il sourit) Ce n’est pas comme si nous avions une boîte magique, mais nous avons la possibilité de faire un état des lieux et de proposer une solution où nous avons rassemblé toute la technique pour créer quelque chose d’unique. D’autre part, en tant que PME, nous avons une certaine liberté d’action que les grands groupes n’ont plus guère. Nous n’avons pas de département de conformité qui nous fait des remontrances dès que nous marchons sur la corde raide.
Bernhard Aebi : Lorsque j’ai planifié mon premier ascenseur avec EMCH, j’ai été très surpris de voir à quel point ils sont flexibles. Les grands industriels n’ont pas d’intérêt pour les spécialités, ils sont orientés vers les affaires de masse. EMCH a une autre philosophie. C’est comme pour les bons architectes.

 

Faut-il une conscience particulière de la part des maîtres d’ouvrages pour un ascenseur spécial ?
Bernhard Aebi: L’architecture c’est de la communication et des émotions. Durant le développement d’un projet, l’architecte implique le Maître d’Ouvrage. A Langenthal la Maîtrise d’Ouvrage était déçue lorsque le concept de métal déployé n’a pas pu se faire. Ils avaient trouvé cela génial. Quand l’ascenseur est exceptionnel, le Maître d’Ouvrage y voit une plus-value – si cela a un sens. Faire un ascenseur spécial, juste pour qu’il soit spécial n’apporte rien à personne. Mais si l’ascenseur participe aux émotions dans la maison, alors il relève de l’évidence.

 

 

 

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Comment garantir la qualité planifiée, lors d’appels d’offre publics ?
Bernhard Aebi: Nous configurons notre appel d’offre de manière si détaillée et si précise, qu’à la fin nous obtenons ce que nous avons planifié. Entre l’adjudication et l’exécution il y a toujours un certain développement qui est plus intense et plus créative avec EMCH qu’avec d’autres entreprises. Il est bien sûr plus facile de développer quelque chose ensemble et de donner la commande directement. Mais de nos jours c’est difficile, surtout pour les gros projets.
Daniel Steiger: Nous n'avons effectivement pas pu construire l'installation de Langenthal. Il y a toujours le risque que les projets que nous développons en collaboration avec les architectes nous soient arrachés. Car la plupart du temps, ils doivent faire l'objet d'un appel d'offres public - et comment peut-on mettre quelque chose au concours sans le définir précisément ? Surtout si l'on sait déjà exactement ce que l'on veut. Il faut alors le décrire précisément. N'importe qui peut donc construire un plagiat.

 

Est-ce que cela arrive souvent que l’ascensoriste dise «pas possible » ?
Bernhard Aebi: Chez EMCH rien n’est jamais impossible, mais il disent : «il faut essayer autrement ». Ils font une contreproposition – le ping pong typique. Quand on progresse ensemble sur un terrain glissant, tout à coup une idée surgit, que l’on n’a pas eu comme architecte. Quand quelqu’un me dit que quelque chose ne va pas, je suis toujours piqué au vif et vais creuser par là. C’est là que cela devient passionnant, comme par exemple pour le métal déployé à Langenthal. Dommage que nous n’ayons pas pu le réaliser.
Daniel Steiger : Il serait vraiment fascinant de construire un jour un ascenseur dans la cabine duquel on pourrait sentir le courant d'air. Mais pour cela, il faut une triple sécurité, et les capteurs nécessaires n'existaient pas jusqu'à présent. Maintenant, les systèmes de surveillance 3D sont si parfaits et certifiés que l'on pourrait en fait utiliser une cabine ouverte, une plateforme, comme ascenseur. C'est ce qui se passe au Louvre à Paris, on monte et on descend sans avoir de cabine autour de soi. De tels changements de normes, qui sont généralement impulsés par les grands groupes, sont toujours passionnants pour nous. Il nous faut un certain temps pour trouver notre marché de niche. Actuellement, nous travaillons par exemple sur plusieurs projets dans lesquels nous montons sur le toit sans gaine d'ascenseur. En bas, l'ascenseur est un ascenseur normal, en haut, il traverse le toit. La surveillance que cela nécessite n'est possible qu'avec les nouveaux systèmes techniques. La recherche de telles solutions est passionnante, et il est satisfaisant de pouvoir dire au bout de deux ou trois ans : "Maintenant, nous l'avons".

 

 

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Quel serait l’ascenseur de rêve pour un architecte ?
Bernhard Aebi : Il y a quelques années, j'aurais dit : "Un gratte-ciel à New York". Aujourd'hui, je ne suis pas sûr que d'autres choses ne seraient pas plus intéressantes. Je trouverais passionnant de construire un ascenseur en tant que boîte qui te transporte de A à B, et pas seulement à la verticale. MVRDV a déjà présenté un projet de bibliothèque avec des ascenseurs qui peuvent se déplacer dans toutes les directions grâce à des aimants.
Daniel Steiger : Si le principe de Thyssen, avec un entraînement linéaire qui permet d'avoir plusieurs cabines dans la même gaine s'impose techniquement, cela va complètement bouleverser l'architecture. Il n'y aura alors plus le "problème central" de devoir réserver plus de surface pour les ascenseurs lorsque la hauteur augmente. Et il n'y aura plus de couloirs non plus, parce que tu pourras aller quelque part avec ton cabanon et atterrir devant ta porte. Tu ne rencontres plus personne.
Bernhard Aebi : Je trouve cette évolution technique passionnante. Mais la question est de savoir ce que tu en fais. Je trouve que l'ascenseur est important en tant que lieu social. C'est pourquoi il doit, à mon avis, être plus qu'un simple ascenseur. Quand on habite dans un immeuble avec ascenseur, on apprend à connaître son voisin autrement. Des contacts sociaux se nouent à l'intérieur dans un cadre extrêmement intime.
Daniel Steiger: Une sorte de socialisation forcée. C'est pourquoi c'est parfois si oppressant.
Bernhard Aebi: C'est pourquoi je prends toujours l'escalier !

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