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Deux fois la même chose, autrement

Rédigé par Marc Siegrist | 14 juil. 2025 12:41:21

Source:  Werner Huber (2025, 10. Juli). Zweimal das Gleiche ganz anders [Publireportage]. Berner Kulturagenda – BKA Magazin

 

Un bâtiment est comme un organisme vivant : il évolue et s’adapte aux besoins changeants. Contrairement à l’être humain, dont le cycle de vie est dicté par la nature, le parcours d’un édifice peut être guidé – et constamment revitalisé. Même les bâtiments protégés au titre des monuments historiques ne vivent pas sous une cloche de verre : eux aussi doivent pouvoir être transformés. Il relève de la responsabilité culturelle et architecturale des maîtres d’ouvrage, des architectes, des services de conservation du patrimoine, des autorités et des entreprises impliquées de permettre ces évolutions avec soin et sensibilité.

 

L’installation ultérieure d’un ascenseur dans un bâtiment ancien comporte un risque majeur : celui de détruire irrémédiablement des éléments historiques précieux. C’est pourquoi une planification minutieuse et une collaboration étroite avec des entreprises locales bien ancrées sont d’autant plus essentielles – des entreprises qui savent faire plus, et qui veulent faire mieux, que simplement appliquer des solutions standardisées à l’échelle mondiale. Deux exemples illustrent cela de manière exemplaire, à travers des installations d’ascenseurs réalisées par l’entreprise familiale bernoise Emch.

 

 

 

L’Abbatiale du Domaine de Bellelay, située dans le Jura bernois, est mentionnée pour la première fois en 1141. Elle remonte à Siginand, prévôt de Moutier-Grandval. L’église abbatiale actuelle fut construite en 1714 sur les plans de l’architecte autrichien Franz Beer, originaire du Vorarlberg ; les bâtiments conventuels suivirent vingt ans plus tard. En 1797, lorsque des troupes françaises occupèrent l’abbaye, le monastère fut dissous et l’église désacralisée. À la fin du XIXe siècle, le canton de Berne acquit le domaine et y installa un asile pour malades mentaux. La maison d’habitation située au numéro 60 de la Spitalackerstrasse, à Berne, est bien plus récente : elle fut construite en 1906 par l’architecte et entrepreneur Antonio Perello, en tant que partie d’un ensemble de cinq maisons mitoyennes. Quelques années auparavant, le nouveau pont du Kornhaus avait transformé le quartier du Breitenrain en une zone résidentielle attrayante. La maison fut conçue en conséquence : la façade se distingue par sa brique apparente et ses éléments décoratifs en pierre de taille, accentuée encore par un oriel cylindrique. À l’intérieur, les hauts plafonds ornés de stuc et les parquets reflètent l’esprit de la Belle Époque. Au fil des décennies, les cuisines et les sanitaires ont été adaptés à plusieurs reprises, mais dans l’ensemble, la maison est restée largement dans son état d’origine.

 

La priorité au bâti existant

Aussi généreux et baignés de lumière que soient les espaces de l’immeuble de la Spitalackerstrasse, l’accès vertical, lui, est des plus restreints : un escalier raide et étroit s’enroule autour d’un petit vide central. Lorsqu’une rénovation complète du bâtiment a été envisagée, une chose est vite devenue évidente : il fallait un ascenseur. Or, l’installation d’un ascenseur entraîne souvent la transformation complète de la cage d’escalier – avec des interventions lourdes sur la substance historique et l’organisation des espaces. On parle alors de « contrainte technique » – un argument souvent avancé, mais rarement justifié.

 

   

 

En matière de patrimoine bâti, nous avons une responsabilité particulière envers le travail de nos prédécesseurs. La culture du bâti inclut aussi le fait de ne pas construire, de préserver, de prolonger intelligemment l’existant. Peu importe qu’un édifice ait plusieurs siècles d’histoire ou seulement quelques années : le respect de ce qui est là doit toujours rester la ligne directrice. Les architectes du collectif bernois Werkgruppe agw, en charge de la transformation de l’immeuble de la Spitalackerstrasse, en donnent un exemple convaincant. Ils ont trouvé un emplacement pour l’ascenseur permettant de desservir tous les appartements avec une intervention minimale sur la structure existante.

 

Soin et savoir-faire technique

Au nord de l’abbatiale de Bellelay, la mission était la même : installer un ascenseur. Depuis des années, l’église sert de lieu pour des événements culturels. À l’occasion du 300e anniversaire de l’édifice, il s’agissait de rendre accessibles les différents niveaux — y compris pour les personnes en situation de handicap. Le large vide central de l’escalier en bois historique du clocher nord s’y prêtait parfaitement. Il offrait les dimensions nécessaires pour accueillir un ascenseur, avec un impact minimal sur la substance bâtie. L’architecte Henri Mollet, de Bienne, a développé avec les ingénieurs de l’entreprise Emch Aufzüge une structure porteuse en profils d’acier. Cette dernière est autoportante et ne touche la maçonnerie de la tour qu’en quelques points, au moyen de tiges fines. Grâce à cette construction, l’ascenseur reste visuellement transparent et l’effet spatial du clocher demeure perceptible. Et si de nouveaux besoins devaient un jour surgir, l’installation pourrait être démontée à tout moment, sans laisser de dommages significatifs. Cette réversibilité constitue un principe fondamental dans la gestion du patrimoine bâti.

 

Retour à Berne, à la Spitalackerstrasse. Ici aussi, les architectes ont su identifier un emplacement permettant d’intégrer l’ascenseur de manière presque invisible. Mais l’espace disponible était extrêmement restreint. La construction d’une gaine en béton était exclue. Les ingénieurs d’Emch ont donc repris la même solution qu’à Bellelay : une structure fine en acier. Pour éviter toute transmission sonore, l’ascenseur est autoportant et ne touche les murs qu’en quelques points. Grâce à cette structure légère, cette solution est elle aussi réversible. Les deux bâtiments sont désormais prêts à affronter les décennies à venir. Comment la prochaine génération jugera ces interventions, nul ne peut le dire. Mais il est peu probable que son regard soit trop critique : la génération actuelle a assumé sa responsabilité architecturale et culturelle à l’égard de la substance historique.